POESIE ……. « EN CREUSE »
En Creuse
C’est
dans un tournant sur la gauche que dégoulinait un village ;
Quelques
typiques maisons creusoises sortant d’un bois sombre ;
Vaste
forêt où rien ne laissait présager que des âmes y vivaient.
Des
fermes moyenâgeuses basses ; des visages sévères sans âge,
Taciturnes
et burinés assis près d’une table grossière où l’ombre
D’une
alcôve aux fibres enfumées, dans un coin obscur se perdait.
Tout
était sobre. Taillés à coups de serpe, des meubles noircis
Sur
la terre battue ; des bancs de bois alignés contre la chaux
Des
murs comme mis au piquet. Traînaient de rassises parcelles
De
pain que la volaille effrontée entre les gobelets gobait, tandis
Que
brûlait la cheminée encadrée d’un monceau de secs fagots.
De
la porte ouverte, seul pénétrait un rayon sur la spartiate salle.
Dehors
le purin s’écoulait sous la fenêtre et personne vraiment
S’en
offusquait ! L’étable contiguë chauffait les nuits d’hiver
De
cette région ardue que la neige pouvait des jours, assiéger.
La
rigueur voulait que les ouvertures soient réduites au vent
En
bourrasques, aux trombes dévalant les chemins de pierres
Sous
le regard des toits pentus de tuiles ou chaume, tourmentés.
Ce
hameau ceint de sapins, colonies de hautes cimes pointues
Semblait
comme dévoré ; les fougères proliféraient rustiques ;
Encoignures,
murailles, niches s’en habillaient et des reptiles,
Hébergeaient.
Des corps à peaux écailleuses, confondues,
Sur
un rocher de braise chauffant leur sang froid mais la panique
Aux
« sss » menaçants, glaçait le notre sur les lisières hostiles.
Chaque
maisonnette possédait un jardin proche, un champ au sol
Pauvre
… Alors, silencieux et robuste, l’homme respectueux,
Jusqu’au
soir sur chaque motte se sacrifiait. Parfois l’aurore,
Voyait,
anéanti le fruit d’un long labeur … dans la glèbe molle,
Les
nez fouisseurs sevraient d’une récolte mure un malchanceux
Foyer
qui maudissait la fatalité comme frappé d’un mauvais sort.
Marie
de noir vêtue portait un tablier où elle essuyait ses mains ;
Un
béret cachait un chignon grisonnant mais son visage doux,
Complaisant
au rire cristallin illuminait son intérieur monacal.
Peu
de lumière, juste une ampoule brunie par le feu, un pétrin
Au
lourd couvercle qui renfermait ses vivres bénits car un sou
Est
un sou ! Le patois, je ne comprenais et elle en jouait, amicale.
Je
la distinguais, son fichu sur ses épaules, calme et assoupie
Sur
son fauteuil à bascule, ses lunettes entre ses doigts, repliées
Dans
la pénombre moite de l’été tandis que sa paire de sabots
Fourrés
de paille sur les pavés, était posée. Sur un bloc poli
De
granit, des seaux remplis transpiraient en perles de rosée ;
Source
limpide où genets et bruyère sauvage faisaient enclos.
Elle
m’avait adoptée dès mon arrivée dans son logis puritain,
Sinistre
que je ne crus jamais pouvoir y vivre et … dormir.
Le
cœur gonflé de larmes je me couchais dans le grenier
Où
pendaient des tresses de champignons, des sacs de grain
Sur
le plancher disjoint, quelques chétifs maïs semblant tarir,
Des
paniers de pommes ridées, de nombreux bocaux variés …
Du
monde rural le plus profond … Je fis la connaissance, bras
Dessus,
bras dessous avec la bonne vieille battant la campagne …
Toujours
un chapeau, un bâton et des bottes furent les conseils
Lucides
de Marie … Un monde ignorant s’est découvert, las
De
misère, farouche voire timoré, au dialecte où encore règnent
Superstitions,
pratiques ancestrales et les « Grand Dieu » du ciel.
Après
avoir côtoyé les chèvres capricieuses, rapporté l’eau glacée
De
la fontaine, foulé sous-bois et herbes folles, respiré les fragrances
Pastorale
et champêtre, bénéficié d’une bassine et son broc pour
Toutes
ablutions, d’une cuve pour y plonger les draps de lin à frotter …
Le
train vit mes traits brunis, de liberté gavée, submergée de nuances,
De
couleurs, de sons et de bribes acquises de langue que je sais toujours.
Le
bruyant Paris me retrouva si morose ! Je m’étais adaptée à la vie
Simple
et sans confort durant l’espace d’un mois bercé par le poêle
Ronronnant,
les us et coutumes, contes et légendes de l’hôtesse.
Sans
elle, le premier jour aurait été le dernier. De guide, elle servit
A
l’adolescente et son cœur lui donna tout entier. Des nouvelles
S’échangèrent
et une morte saison … l’emporta tout en délicatesse.
A.T. 2014
(1er séjour en Creuse en 1961)