mardi 2 février 2016

En Creuse





POESIE ……. « EN CREUSE » 



En Creuse

C’est dans un tournant sur la gauche que dégoulinait un village ;
Quelques typiques maisons creusoises sortant d’un bois sombre ;
Vaste forêt où rien ne laissait présager que des âmes y vivaient.
Des fermes moyenâgeuses basses ; des visages sévères sans âge,
Taciturnes et burinés assis près d’une table grossière où l’ombre
D’une alcôve aux fibres enfumées, dans un coin obscur se perdait.

Tout était sobre. Taillés à coups de serpe, des meubles noircis
Sur la terre battue ; des bancs de bois alignés contre la chaux
Des murs comme mis au piquet. Traînaient de rassises parcelles
De pain que la volaille effrontée entre les gobelets gobait, tandis
Que brûlait la cheminée encadrée d’un monceau de secs fagots.
De la porte ouverte, seul pénétrait un rayon sur la spartiate salle.

Dehors le purin s’écoulait sous la fenêtre et personne vraiment
S’en offusquait ! L’étable contiguë chauffait les nuits d’hiver
De cette région ardue que la neige pouvait des jours, assiéger.
La rigueur voulait que les ouvertures soient réduites au vent
En bourrasques, aux trombes dévalant les chemins de pierres
Sous le regard des toits pentus de tuiles ou chaume, tourmentés.

Ce hameau ceint de sapins, colonies de hautes cimes pointues
Semblait comme dévoré ; les fougères proliféraient rustiques ;
Encoignures, murailles, niches s’en habillaient et des reptiles,
Hébergeaient. Des corps à peaux écailleuses, confondues,
Sur un rocher de braise chauffant leur sang froid mais la panique
Aux « sss » menaçants, glaçait le notre sur les lisières hostiles.

Chaque maisonnette possédait un jardin proche, un champ au sol
Pauvre … Alors, silencieux et robuste, l’homme respectueux,
Jusqu’au soir sur chaque motte se sacrifiait. Parfois l’aurore,
Voyait, anéanti le fruit d’un long labeur … dans la glèbe molle,
Les nez fouisseurs sevraient d’une récolte mure un malchanceux
Foyer qui maudissait la fatalité comme frappé d’un mauvais sort.

Marie de noir vêtue portait un tablier où elle essuyait ses mains ;
Un béret cachait un chignon grisonnant mais son visage doux,
Complaisant au rire cristallin illuminait son intérieur monacal.
Peu de lumière, juste une ampoule brunie par le feu, un pétrin
Au lourd couvercle qui renfermait ses vivres bénits car un sou
Est un sou ! Le patois, je ne comprenais et elle en jouait, amicale.

Je la distinguais, son fichu sur ses épaules, calme et assoupie
Sur son fauteuil à bascule, ses lunettes entre ses doigts, repliées
Dans la pénombre moite de l’été tandis que sa paire de sabots
Fourrés de paille sur les pavés, était posée. Sur un bloc poli
De granit, des seaux remplis transpiraient en perles de rosée ;
Source limpide où genets et bruyère sauvage faisaient enclos.

Elle m’avait adoptée dès mon arrivée dans son logis puritain,
Sinistre que je ne crus jamais pouvoir y vivre et … dormir.
Le cœur gonflé de larmes je me couchais dans le grenier
Où pendaient des tresses de champignons, des sacs de grain
Sur le plancher disjoint, quelques chétifs maïs semblant tarir,
Des paniers de pommes ridées, de nombreux bocaux variés …

Du monde rural le plus profond … Je fis la connaissance, bras
Dessus, bras dessous avec la bonne vieille battant la campagne …
Toujours un chapeau, un bâton et des bottes furent les conseils
Lucides de Marie … Un monde ignorant s’est découvert, las
De misère, farouche voire timoré, au dialecte où encore règnent
Superstitions, pratiques ancestrales et les « Grand Dieu » du ciel.

Après avoir côtoyé les chèvres capricieuses, rapporté l’eau glacée
De la fontaine, foulé sous-bois et herbes folles, respiré les fragrances
Pastorale et champêtre, bénéficié d’une bassine et son broc pour
Toutes ablutions, d’une cuve pour y plonger les draps de lin à frotter …
Le train vit mes traits brunis, de liberté gavée, submergée de nuances,
De couleurs, de sons et de bribes acquises de langue que je sais toujours.

Le bruyant Paris me retrouva si morose ! Je m’étais adaptée à la vie
Simple et sans confort durant l’espace d’un mois bercé par le poêle
Ronronnant, les us et coutumes, contes et légendes de l’hôtesse.
Sans elle, le premier jour aurait été le dernier. De guide, elle servit
A l’adolescente et son cœur lui donna tout entier. Des nouvelles
S’échangèrent et une morte saison … l’emporta tout en délicatesse.

A.T. 2014


(1er séjour en Creuse en 1961)

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