lundi 10 septembre 2012

Les VIEUX …


Les VIEUX



«Les Vieux »

Sous le couvert de grands platanes, la fontaine
Saint Eloi toujours coule fraîche, inépuisable.
Au milieu de la place, installée, se traîne
Lasse, tiède à son socle, sa flaque intarissable.

Sur plusieurs bancs près des géraniums lierre,
Quelques casquettes vieillissantes, impassibles ;
Les aînés du village veillent sur leurs pierres
Jalousement, le visage ridé fronçant un sourcil.

Assis, la canne entre les pieds, les hâves mains
Sur leurs genoux posées, les « Sénateurs » placides,
Les uns contre les autres, regardent ce matin
« L’estrangi » d’un œil curieux, acide.

Parfois des lèvres blêmes vers une sourde oreille
Qui se penche pour des mots articulés, répétés.
Sur la place Clémenceau, les mémoires s’éveillent,
Les gorges raclent, les voix s’enflamment, troublées.

Il me semble deviner les bribes de leurs évocations.
Les têtes s’inclinent, dodelinent ; un rire, une moue
Sous le regard du Bon Saint Eloi ; récits, confessions
D’une jeunesse sur l’âpre terre de leur « oustaou ».

Laconiques, ils décrivent la courbe des vignobles,
Le « Terradou » couvert d’oliviers sur plaines, vallons,
Les moulins où coule l’Or clair, exquis, indispensable,
La magnanerie, ses mûriers, les échelles contre les troncs.

Les fêtes votives faisaient revivre fifres et tambourins,
Les chars fleuris et … les jolies filles à leur broderie,
Le train des Pignes passant par la garrigue de thym
Fleurant lavande, origan que surplombait le Barri.

Pauvre, la Provence sobre, traditionnelle subsistait.
La mère dans le « Mastro » pétrissait le pain. La « soupo »
Habituelle, variée, frugale, essentielle … était …
Et l’aïoli, la soupe au pistou, la fine « Fougasso ».

Etreint, le cœur de chacun se rappelle la mobilisation,
La résistance, la peur, ciel et côte mitraillés, embrasés.
Sur les bancs flotte encore le drapeau de la libération.
Certains « Bastions » fondent derrière leurs verres fumés.

Longeant une rigole, un chien errant surprend
Un chat demi sommeillant à l’heure de midi.
De ses amandes mi closes, il guette en s’étirant
Le folâtre jeune vagabond ami ou … ennemi.

Tard, ils prennent congé dans la lumière qui décline
A petits pas se dispersent dans les passages étroits.
L’Estérel puis à l’Ouest les Maures se dessinent
Tandis que se ferment les lourdes portes de bois.

Demain, si je reviens en ce lieu si pittoresque
Sûrement, je verrai le même parterre d’anciens.
A la colline adossée, se dresse la cité authentique
Où dans ses reliefs est gravée l’histoire de ses doyens.

A.T. 2011

Saint Eloi : Ministre du roi Dagobert

Sénateurs : anciens du village « importants » - se dit aussi « allant
à une allure de … (doucement)

Estrangi : l’étranger

Oustaou (austau – oustalou – oustaloudo) : maison

Laconique : concis, bref

L’Or : huile d’olive

Terradou : terroir

Magnanerie : bâtiment (s) destiné (s) à l’élevage des vers à soie

Le Barri : mur, rempart, muraille

Mastro : maie, pétrin

Soupo : soupe

Fougasso : fougasse – galette à base de fleur d’oranger, de zestes
de citron. Elle faisait partie des 13 desserts servis la veille de Noël.

« Bastions » : carapace, cuirasse – hommes comparés à des bastions. 
             

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